LA LAMPE FRANCAISE DE T.S.F. dite "T.M."

"T.M." comme Télégraphie Militaire



Mise au point et industrialisée à Lyon en 1915.

Une autre réalisation peu connue, mais de grande importance, place Lyon dans l'histoire de la T.S.F.. La lampe à trois électrodes découverte en 1907 par Lee de Forest aux Etats-Unis est perfectionnée et véritablement industrialisée pour la première fois au monde, dans la région Lyonnaise en 1915.

Trente deux ans plus tôt en 1883, l'Américain Thomas Edison, inventeur de la lampe électrique, constatait le passage d'un très faible courant entre le filament incandescent et une petite plaque métallique positive placée dans la même ampoule "vide d'air". Il s'agit du phénomène dit "effet Edison" dont le chercheur ne donna pas d'explication. En 1889, il montre son expérience au physicien Anglais John Fleming.

1903 - Fleming cherche pour la Compagnie Marconi un bon détecteur d'ondes Hertziennes. Il reprend, perfectionne l'expérience d'Edison et réalise "la valve" détectrice qui ne laisse passer qu'une alternance du courant alternatif de haute fréquence. Le physicien Allemand Wehnelt augmente le courant électronique de la valve en employant un filament de platine recouvert d'oxyde de calcium, corps capable de libérer facilement ses "électrons".

1905 - Lee de Forest multiplie les essais de perfectionnement de la valve. Ayant imaginé de relier l'antenne d'un récepteur de T.S.F. à une troisième électrode de sa lampe placée entre les deux autres (une plaque métallique percée de petits trous) il constate une bien meilleure réception des ondes et baptise cette nouvelle lampe "AUDION". L'EFFET AMPLIFICATEUR venait d'être découvert. C'était l'une des plus grandes inventions de tous les temps, mais peu de gens le comprirent à l'époque (Brevet 29 Janvier 1907). Sans amplification, la réception était fréquemment un tour de force, les ondes parvenant à l'antenne affaiblies par la distance. Désormais, il était possible de les détecter et de les amplifier dans de bonnes conditions. En outre, la lampe pouvait "osciller". Elle permettait ainsi la construction d'émetteurs "d'ONDES ENTRETENUES" pratiques et performants.

1914-1918 - Le Colonel Gustave Ferrié, directeur technique de la RADIO TELEGRAPHIE MILITAIRE, pressent l'avenir de la lampe à trois électrodes dont il possède quelques exemplaires américains. Malheureusement, le fonctionnement de l'AUDION de Lee de Forest est encore capricieux. Par manque de moyens, les tubes de fabrication artisanale sont montés et vidés irrégulièrement.

En octobre 1914, Ferrié réunit une équipe de spécialistes avec mission de mettre au point un AUDION français, robuste, de caractéristiques régulières et de construction industrielle aisée. Il installe ses hommes dans les locaux de l'émetteur militaire de LYON LA DOUA construit depuis peu de temps. Diverses raisons motivent ce choix. En premier lieu, la ville de Lyon est plus éloignée de la zone des combats que la capitale, ensuite une manufacture de lampes d'éclairage travaillant non loin de LA DOUA, "GRAMMONT - usine du Belvédère à Caluire et Cuire", pourrait sans difficultés industrialiser le nouveau composant.

Dès la fin d'octobre 1914, un premier prototype voit le jour, mais n'est pas mis en fabrication. En février 1915, un nouveau modèle sort de chez Grammont en petite série... mais les cathodes verticales "en porte à faux" se brisent dans les transports.

Octobre 1914 - LYON-LA-DOUA
Lampe expérimentale

1 - Cadre en verre support de grille
2 - Grille Spiralée
3 - Plaque Molybdène
4 - Filament tungstène

 

Octobre 1915 - LYON-LA-DOUA
Lampe expérimentale

1 - Grille à base triangulaire
2 - Anode
3 - Filament
4 - Culot petite baïonette

Après un certain nombre de modifications, le modèle définitif à électrodes horizontales est livré à partir de NOVEMBRE 1915. La T.M. apparaît sous la forme d'une ampoule de verre sphérique semblable à certaines lampes à incandescence de l'époque. Une pointe sur la partie supérieure est le reste de l'appendice qui a permis de faire le vide avant de clore. La CATHODE est un filament de TUNGSTENE de 0,06 mm de diamètre. Lors du fonctionnement, il est chauffé à blanc par un courant électrique continu de 4 volts. La GRILLE en MOLYBDENE de 0,3 mm de diamètre a la forme d'un petit ressort à boudin. C'est à elle qu'est appliqué le signal alternatif à amplifier et à détecter. L'ANODE ou "plaque" cylindrique est en NICKEL. Elle fonctionne habituellement avec une tension continue positive de 40 volts. Le support composé de quatre broches en laiton fixées sur un socle en porcelaine permet le remplacement aisé de la lampe sur les appareils.

La T.M. fut fabriquée, comme déjà indiqué, chez GRAMMONT à LYON, (marque FOTOS), puis par la COMPAGNIE DES LAMPES à PARIS (Marque METAL). Plus de 100.000 furent livrées en 1916. En Novembre 1918, la production atteignait 1.000 lampes par jour. Elle était facturée 5 francs pièce à l'armée (Environ 75 Francs - 1997).

Lampe à trois  électrodes industrialisée par GRAMMONT de Février à Octobre 1915.

Les Cathodes en "porte à faux" se brisent dans les transports.

Parmi les hommes qui ont participé à cette aventure, citons:

Paul PICHON, ingénieur français qui avait travaillé en Allemagne pour la Sté TELEFUNKEN avant 1914. Il s'était au cours d'un voyage aux U.S.A., procuré quelques "AUDIONS" qu'il mit à la disposition de FERRIE.

Le Professeur Henri ABRAHAM, scientifique de grand talent, Directeur du laboratoire de physique de l'Ecole Normale, passionné de T.S.F.

Joseph BETHENOD, ancien élève de l'Ecole Centrale Lyonnaise, premier et éminent Directeur Technique de la S.F.R. (Société Française Radioélectrique).

Le Capitaine François PERI, militaire actif au caractère affirmé. Rentrant d'Indochine, il dirigeait le Centre Radio-Télégraphique de LYON-LA DOUA qu'il avait construit en trois mois. (Juillet, Août, Septembre 1914)

Jacques BIGUET, technicien compétent et ingénieux de la fabrique de lampes d’éclairage GRAMMONT.

François GRAMMONT, administrateur de la société qui porte son nom. Capitaine de Zouaves, il fut démobilisé début 1915 à l'initiative de FERRIE pour reprendre la direction de l'entreprise.

M. BOCUZE, spécialiste des rubans métalliques utilisés par les "soyeux" pour confectionner les "lamés". Il tréfilait le tungstène utilisé par Grammont pour les filaments des T.M.. Il fut plus tard cofondateur de la RADIOTECHNIQUE.

Les rapports humains ne furent pas toujours aisés dans cette équipe composée de personnalités affirmées. FERRIE dut à diverses reprises faire usage de ses qualités de meneur d'hommes. Malgré cela, en un temps relativement court et avec des moyens modestes, plusieurs solutions géniales furent trouvées.

- Structure cylindrique des électrodes et leur montage concentrique, Cette innovation très ingénieuse permet d'obtenir des caractéristiques régulières (même en cas de léger décentrage) et un bon rendement. Ce n'était pas le cas de "l’Audion" primitif avec ses électrodes planes.

- Montage horizontal du dispositif intérieur qui lui donne une meilleure assise et une "grande robustesse".

- Elimination de l'air et de la vapeur d'eau pouvant encore subsister dans la lampe après pompage, par des procédés inédits. Vérification électronique du vide sur les lampes terminées.

- Création du culot à quatre broches qui facilitait le changement des lampes.

La T.M. permit d'abord l'étude en laboratoire des montages amplificateurs, détecteurs et oscillateurs. Au nombre des résultats positifs, citons la découverte de la détection par "condensateur shunté" en série dans la "grille", la mise au point par Lucien Lévy de la réception par changement de fréquence : SUPERHETERODYNE.Elle fut incorporée dans de multiples appareils d'excellente qualité pour l'époque. Grâce à un important effort industriel, ceux-ci furent fabriqués à de très nombreux exemplaires. Ils équipèrent les détachements du 8ème Génie répartis sur toute l'étendue du front.

A partir de 1917, la télégraphie française surclasse celle de ses adversaires. "Notre" matériel muni des T.M. est adopté par les armées Alliées, dont l’armée Américaine.

La lampe T.M. commercialisée "dans le civil" à partir de 1920 fit la joie des premiers amateurs de T.S.F.. Copiée, progressivement modifiée et améliorée pendant près de quinze ans, elle permit le développement rapide de la Radiodiffusion. Elle est l'ancêtre des lampes de T.S.F. Européennes.

La lampe T.M. eut une nombreuse descendance. Quelques modèles commercialisés de 1921 à 1935.



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